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Modélisez les motivations de vos utilisateurs pour les mettre au centre de votre stratégie produit

J’étais un jour assis avec le lead PM du produit que nous concevions, et nous nous sommes retrouvés dans une situation vraiment embarrassante. 
Nous étions en train de revoir la stratégie du produit lorsque l’un d’entre nous proposa : « réécrivons les besoins et les motivations de nos utilisateurs ». Excellente idée 👍 , repartir de la base afin de prioriser nos décisions avec une stratégie centrée utilisateur. Néanmoins, après 5 minutes frustrantes à écrire puis jeter nos post its, l’un de nous déclara l’évidence gênante : « Mais en fait, c’est quoi une motivation ? C’est quoi la différence avec un besoin ? Comment rédiger une motivation ? ». Silence, c’était vrai, nous ne le savions pas. 🤦‍♂️ Un constat embarrassant pour les deux représentants des utilisateurs au sein de cette société…

Ce jour a été un tournant pour moi, à partir duquel je me suis demandé comment nous pouvions prétendre élaborer des stratégies centrées utilisateurs sans comprendre vraiment ce qu’est un besoin, un pain point, une motivation, un comportement, une émotion, et comment ils sont liés.

Après plusieurs années d’itérations collaborative sur un canevas de représentation de cette chaine comportementale nous sommes arrivés à un résultat actionnables, éprouvé pour de nombreux clients, et que nous vous partageons ici.

Il vous permettra de modéliser la relation entre le contexte, l’émotion, le pain point ou le plaisir, la motivation et le besoin qui en émergent, puis les comportements qui en résultent.

Vous pourrez l’utiliser 

  • Lorsque vous établissez les hypothèses d’un nouveau produit ou d’une nouvelle feature, afin de cartographier vos hypothèses que vous vous faites sur vos utilisateurs.
  • Lors de la phase de recherche, pour établir vos guides d’entretiens, et orienter vos relances afin de consolider le canevas avec les insights de vos utilisateurs.
  • Lors de la phase d’idéation, afin d’être sûrs d’orienter la stratégie de votre produit sur les points de la chaîne qui ont le plus d’impact sur l’expérience de vos utilisateurs et sur vos métriques.
  • Lors de la conception, afin de rester alignés sur les résultats que vous souhaitez atteindre.

C’est un puissant outil de stratégie produit, d’UR, de Design Thinking, et d’UX.

Vous le trouverez sur ce Board Miro, vous devrez le copier sur vos boards persos pour pouvoir l’éditer.

https://miro.com/app/board/uXjVODR13k0=/?share_link_id=760681791557

Voici une explication pas à pas.

1. Quel évènement, et dans quel contexte, va déclencher la motivation et le comportement chez votre utilisateur ? 

Le déclencheur

A l’origine de la création d’une motivation et d’un comportement se trouve un déclencheur.

Le déclencheur est composé d’un contexte et d’un évènement déclencheur.

a. Le contexte

La personne est dans un contexte donné, dans ce contexte un événement sera à l’origine d’une motivation chez lui. Le contexte est la photographie statique à l’instant t d’où va émerger la motivation, et donc le besoin de votre utilisateur.

C’est l’état initial.

Il est important de bien connaitre ce contexte, car les éléments qui le composent peuvent avoir des impacts sur le produit que vous allez proposer.

Vous devez définir le contexte en répondant aux questions :

Quand ?

  • Ce contexte a-t-il lieu à un moment particulier (de la journée, de l’année, du parcours professionnel, …) ?
  • Que se passe-t-il avant ?
  • Est-ce un contexte spontané ou s’étend-il dans le temps ?

Où ?

  • Où ce contexte a-t-il lieu ?
  • Où se trouve la personne dans ce contexte ?

Qui ?

  • Qui d’autre est présent dans ce contexte ?
  • Une interaction, avant l’évènement déclencheur, a-t-elle lieu entre la personne et ces acteurs ?

Quoi ?

  • Que fait la personne dans ce contexte avant l’évènement déclencheur ?

b. L’événement déclencheur

C’est l’évènement qui, dans le contexte, va faire émerger une motivation chez la personne qui vous intéresse.

C’est « l’étincelle » qui lance tout.

C’est, par exemple :

  • Un acteur du contexte qui fait une action
  • Un évènement lié à un objet (le lave-vaisselle tombe en panne, l’alarme sonne, une notification arrive, …)
  • Un évènement temporel (il est l’heure de partir, la deadline projet approche …)

2. Quel état affectif caractérise alors votre utilisateur ? 

Etat affectif

Le déclencheur peut déclencher une réponse affective ou non.

Par exemple si vous étudiez le comportement d’une personne qui reçoit un dossier à traiter et dont c’est le métier il n’y aura pas d’état affectif particulier, bien qu’il y aura un comportement qui s’en suivra. En revanche si une notification venant de votre application de rencontre arrive sur le téléphone de votre persona « nouvel inscrit après une longue relation » il est fort probable qu’un état affectif sera observé et que vous souhaitez connaitre la chaine qui en découle.

Un état affectif peut être une sensation, une émotion, ou un sentiment.

Il peut être agréable ou désagréable.

S’il est désagréable alors il génère un pain point. S’il est agréable il génère du plaisir.

Identifier cet état affectif vous permet d’établir un objectif de faire disparaitre un pain point ou de sublimer un plaisir pour rendre sa mémoire plus forte grâce à votre produit.

Sensation :

Une sensation est une impression extérieure perçue directement par les organes des sens (toucher, vue, ouïe, odorat, goût) ou une Impression intérieure (proprioception, intéroception).

Exemple :

  • j’ai chaud
  • je sens une odeur agréable
  • j’ai mal au ventre

Emotion :

Une émotion est une réaction interne (psychologique et physiologique) qui se manifeste suite à un événement. Elle se produit rapidement et est éphémère.

L’événement qui l’a généré devient alors ponctuellement le centre de l’attention pour le sujet.

Elle va générer une réaction externe immédiate, instinctive, qui peut être observée (la personne ris, la personne s’éloigne, la personne se rapproche, …)

On parle d’émotion agréable si elle provoque un état affectif agréable, et d’émotion désagréable si elle provoque un état affectif désagréable.

Sentiment :

Le sentiment est l’état affectif qui reste après avoir éprouvé une émotion, il s’installe à moyen / long terme.

Voici une liste ci permettant d’identifier quel sentiment correspond au cas de la personne pour qui vous concevez un produit (1er cercle = émotion primaires, 2ème cercle = émotions secondaires, 3ème cercle = sentiment).

3. L’état affectif sur lequel vous travaillez est-il génère-t-il un pain point ou un plaisir ? 

Qu’est-ce qu’un pain point ?

C’est lorsqu’un déclencheur (contexte + évènement) entraine un état affectif désagréable chez la personne.

Un pain point est donc spécifique à un contexte.

Il peut être inconscient, d’où l’intérêt de savoir interroger le contexte et les états affectifs lors des recherches exploratoires.

Indice de pain point en entretien exploratoire :

  • Je crains que…
  • C’est trop long de …
  • Je ne peux pas faire …..
  • Je suis fatigué de ….
  • Je suis déçu par …..
  • Je souffre car …

Qu’est-ce qu’un plaisir ?

Face à un événement qui génère un état affectif agréable, la personne va exprimer son contentement, chercher à maintenir l’événement, à le reproduire, à renforcer le comportement qui l’a amené à cette expérience.

Il est donc essentiel d’identifier les plaisirs éprouvés par la personne dans le contexte sur lequel vous travaillez afin de sublimer ces plaisirs, de les rendre plus intenses, afin d’imprégner une mémoire positive chez la personne.

4. Quelle motivation émerge de cet état affectif face à ce déclencheur ?

La motivation

Une motivation est composée de 2 éléments :

  • un objectif
  • un besoin

C’est afin de répondre à un besoin que la personne va se fixer un objectif. Le besoin est donc à la base de la motivation. C’est ici que se trouve le « besoin » dont nous parlons tant dans nos métiers et autour duquel se basent les stratégies produits.

Une motivation se rédige sous la forme « [persona] veut [objectif] afin de [besoin à satisfaire] ».

Une motivation se rédige sous la forme « [persona] veut [objectif] afin de [besoin à satisfaire] ».

Qu’est ce qu’un objectif ?

Un objectif est ce que l’utilisateur souhaite atteindre : perdre du poids, remplir un dossier, transférer de l’argent, … . C’est ce qu’il espère atteindre concrètement grâce à ces actions et que l’on va pouvoir observer par son comportement.

Qu’est ce qu’un besoin ?

Afin d’être sûr d’avoir identifié un besoin vous devez vous poser la question suivante : le besoin de votre utilisateur est il bien relié à un besoin psychologique ou à un physiologique fondamental ?

« Pour concevoir des produits « expérientiels », il faut considérer les systèmes interactifs comme des moyens d’épanouir des besoins psychologiques et non uniquement comme des moyens de réaliser des taches. » Carine Lallemand

Selon Carine Lallemand il y a 7 besoins psychologiques fondamentaux :

  • Plaisir – stimulation
  • Relationnel – appartenance
  • Sécurité – contrôle
  • Compétence – efficacité
  • Autonomie – indépendance
  • Influence – popularité
  • Réalisation de soi – sens

Il existe aussi des besoins physiologiques fondamentaux : se nourrir, se reproduire, dormir, respirer, boire, excréter, homéostasie.

Le besoin que vous identifiez doit répondre à l’un de ces besoins fondamentaux. Sinon, c’est soit que vous êtes face à un « objectif » ou que vous avez encore besoin de creuser avec la question « pourquoi ? ».

Motivations intrinsèques et extrinsèques

Pour un même objectif, différents besoins peuvent être reliés en fonction de la personne. La nature de ce besoin et ce vers quoi il est dirigé vont permettre de donner à la motivation une polarité allant de extrinsèque à intrinsèque.

Il est important en stratégie produit de connaître la polarité des motivations qui guident les comportements de vos utilisateurs.

a. Motivations intrinsèques

Elles sont authentiques, elles viennent de l’intérieur, c’est lorsque l’on commet quelque chose pour sa valeur propre, parce qu’on l’aime sans se préoccuper des récompenses que cette pratique peut nous apporter.

Elles permettent d’être indépendant des causes extérieures.

Elles permettent un engagement durable, et un bien être psychologique. Bien identifier cette motivation permet donc de créer des expérience durables car elles répondent à un besoin « profond ».

Vous êtes en train d’identifier une motivation intrinsèque si lors de vos research vous entendez :

« je fais ceci pour …

  • ressentir des émotions / sensations que j’aime
  • le plaisir à être bon à ce que je fais / me surpasser
  • le plaisir d’apprendre
  • le bien être de le faire. »

b. Motivations extrinsèques

Elles sont façonnées, elles viennent de l’extérieur, c’est lorsque l’on commet quelque chose pour obtenir une récompense ou éviter une punition.

Elles créent une dépendance avec les causes extérieures.

Prendre des décisions design et produits sur ces motivations permet de fixer des objectifs à court terme, et d’initier des comportements.

Vous êtes en train d’identifier une motivation intrinsèque si lors de vos research vous entendez :

« je fais ceci pour …

  • réaliser mes projets
  • obtenir quelque chose que je désire
  • ne pas m’en vouloir de ne pas l’avoir fait
  • satisfaire telle personne / briller face aux autres
  • parce que je dois le faire. »

c. Amotivation

C’est l’absence de motivation lorsque quelqu’un est engagé dans une activité.

La personne a le sentiment d’être soumis à des facteurs hors de son contrôle et n’est pas capable de prévoir les conséquences de ses actions.

Si lors de vos research vous entendez :

« je fais ceci …

  • mais ca n’en vaut pas la peine
  • mais je n’en vois pas l’intérêt
  • mais je n’ai pas de raison de le faire. »

Prendre des décisions design et produit sur de l’amotivation revient à décider de retirer ces moments de l’expérience de votre utilisateur afin qu’il retrouve du sens dans son activité.

Exemple :

Des utilisateurs de Strava vont identifier l’objectif de « courir ». Si l’objectif est le même en fonction des personnes interrogées, le besoin lié à cette activité va différer, créant ainsi différentes motivations en fonction des personnes. Identifier ces besoins permet de placer ces motivations de la plus intrinsèque à la plus extrinsèque.

Ici par exemple, avec de la plus intrinsèque à la plus extrinsèque :

  • Je veux courir afin de voir du paysage et de prendre l’air
  • Je veux courir afin d’être meilleur dans ma pratique de la course
  • Je veux courir afin d’être entre amis
  • Je veux courir afin de voir mes stats s’améliorer sur Strava
  • Je veux courir afin de m’entrainer et arriver dans les premiers à la course
  • Je veux courir afin de faire comme mon voisin
  • Je veux courir afin d’avoir un joli corps à montrer cet été
  • Je veux courir afin de faire plaisir à ma compagne

Vous comprenez que connaitre la motivation et sa polarité, grâce aux recherches qualitatives, permet de prendre des décisions différentes en fonction des motivations sur lesquelles vous souhaitez travailler en priorité.

5. Quel comportement émerge de la motivation ?

Si la racine du mot « motivation », comme celle de « moteur » est « mouvoir » c’est parce que celle-ci va être la force motrice du comportement. Donc, le comportement que vous pouvez observer lors de vos recherches utilisateurs, et les récits issus des questions telles « racontez moi la dernière où …. » vous donnent les portes pour remonter jusqu’aux motivations, aux états affectifs, et au déclencheurs.

Le comportement sera donc ce qui est observable chez la personne pour qui vous concevez un produit afin de satisfaire sa motivation (donc, le/les besoins de la personne et son/ses objectifs).

Un comportement va être influencé par des obstacles et des facilitateurs. Ceux-ci peuvent être concrets ou abstraits. Par exemple si Alan souhaite arrêter de manger du chocolat (objectif) pour être en forme (besoin) il va entre autres arrêter de passer dans le rayon « chocolats » de son épicerie (comportement), en revanche manger du chocolat le réconforte et face à une situation stressante de la vie il ira naturellement acheter du chocolat (obstacle). Il est donc essentiel d’identifier les obstacles et les facilitateurs au comportement, car c’est peut être finalement là-dessus que votre stratégie produit peut s’axer.

6. Le comportement a-t-il permis d’atteindre l’objectif ?

L’objectif auquel nous nous référons ici est bien celui spécifié dans la partie « motivation » de ce canevas.

Deux cas se présentent :

a. La personne n’a pas atteint son objectif

Dans ces cas elle est frustrée, c’est une émotion désagréable.

b. La personne atteint son objectif.

Dans ce cas elle est satisfaite, son cerveau génère une récompense afin de l’encourager à reprendre ce comportement si besoin. Elle éprouve une émotion agréable.

Comme vu précédemment, à vous de trouver comment sublimer ce moment de plaisir pour créer une expérience mémorable.

L’objectif atteint ne répond qu’à une partie de la motivation, par exemple « courir » alors que la personne a effectivement couru. La motivation étant composée de « objectif » et « besoin » il faut alors voir si le besoin est satisfait lui aussi. S’il l’est alors il y a à nouveau émotion agréable, satisfaction, et récompense. Si le besoin n’est pas satisfait alors il y a frustration, émotion désagréable et forme de punition.

Il ne vous aura pas échappé que « comportement » puis « objectif atteint à émotion agréable » / « objectif non atteint à émotion désagréable » revient à « déclencheur à état affectif » vu en début de canevas. En effet, une nouvelle chaine comportementale peut être construite ici, et indéfiniment. D’où la nécessité de restreindre ce travail aux quelques chaînes qui correspondent à la stratégie de votre produit.

Evidemment, la réalité de la psychologie derrière les questions de motivations, besoins, comportements, est bien plus complexe que cela et des champs entiers de recherches sont encore dédiés à explorer ces sujets. Ce canevas est donc une vision simplifiée du sujet, suffisante pour nous permettre de travailler en tant que researchers, designers, PO, PM, sur nos sujets.

Pour rappel, voici en quoi ce canevas m’est utile :

  • Pour établir les hypothèses d’un nouveau produit ou d’une nouvelle feature, afin de cartographier les hypothèses que nous nous faisons sur nos utilisateurs et clients.
  • Lors de la phase de recherche, pour établir nos guides d’entretiens, et orienter nos relances afin de consolider le canevas avec les insights de nos utilisateurs.
  • Lors de la phase d’idéation, afin d’être sûrs d’orienter la stratégie de notre produit sur les points de la chaîne qui ont le plus d’impact sur l’expérience de nos utilisateurs et sur nos métriques.
  • Lors de la conception, afin de rester alignés sur les résultats que nous souhaitons atteindre.

Voici à nouveau le lien vers le board Miro où vous pourrez trouver ce canevas :

https://miro.com/app/board/uXjVODR13k0=/?share_link_id=760681791557

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Créer un guide d’entretien exploratoire

Le guide d’entretien en user research est l’outil indispensable pour rassembler les questions qui vont vous permettre d’explorer, et d’ analyser, vos thèmes de recherches de façon structurée lors de vos entretiens exploratoires.

Il vous permettra de :

  • vous assurez que vous explorez bien vos thèmes de recherche et répondez à votre objectif.
  • faire passer des entretiens analysables
  • préparer votre analyse et votre synthèse
  • avoir des passations fluides et plaisantes, à la fois pour vous et pour l’interviewé
  • ne pas poser de questions guidantes ou biaisées
  • assurez la validité de vos données

La bonne préparation de ce guide est donc importante. Bien que nous soyons tous d’accord avec les bénéfices de cet outil, sa conception peut être un moment de doute, de questionnement personnel : comment dois je le concevoir ? Est ce que je dois écrire des questions toutes faîtes dedans, comme un questionnaire ? Comment être sûr que j’explore bien tous les thèmes de ma recherche ? ….

Nous avons nous même souvent été mis face à ces questionnements, et il se trouve que nous n’avons pas trouvé beaucoup de ressources disponibles pour réaliser cette phase des recherches qualitatives. Nous allons ici vous présenter une méthode pour concevoir des guides d’entretiens.

Il faut bien se rappeler que le guide n’est qu’un guide, le researcher est souvent amené à s’attarder sur un point s’il sent qu’il y a de la matière à extraire avec cet interviewé particulier, ou alors à passer sur une partie s’il constate que l’interviewé n’a rien à apporter sur un sujet.

Dernier point à indiquer en introduction : il y a deux notions importantes et souvent confondues :

  • les questions auxquelles vous souhaitez des réponses.
  • les questions que vous allez poser en entretien.

Une grande partie des doutes lors de la conception du guide d’entretien vient d’un manque de connaissance de l’existence de ces deux types de questions. Souvent les premières (les questions auxquelles vous souhaitez des réponses.) sont posées en entretien telles quelles, par exemple : “de quoi l’utilisateur a t il besoin dans tel contexte ?” est ainsi posée durant l’entretien : “de quoi avez-vous besoin ?”. On a alors la sensation d’avoir posé une mauvaise question, sans finesse, trop frontale, bien que l’on sait que nous et notre équipe souhaite avoir la réponse à cette question. En effet, ceci était la question à laquelle vous souhaitiez une réponse, celle qui faisait partie de votre brief, mais ce n’était pas la question à poser à l’interviewé.

Nous verrons ici comment faire la différence entre les deux, et comment construire un guide qui les adresse bien.

Note : nous utiliserons ici le terme “interviewé” pour décrire les personnes que vous allez interroger, et non le terme “utilisateur”.

Voici notre méthode pour créer votre guide d’entretien en 4 étapes :

  1. Cadrage
  2. Préconception collaborative
  3. Identification des thèmes et des questions auxquelles vous voulez avoir des réponses
  4. Rédaction du guide

Atelier 1 : cadrage stratégique de votre recherche qualitative.

Voici quelques questions à vous poser avec le décideur pour effectuer ce cadrage. Les réponses vous permettront de :

  • décider d’inclure ou d’exclure certaines questions ou thématiques.
  • mettre tout le monde en phase quant à l’objectif du décideur
  • déterminer le cadre dans lequel la recherche va s’effectuer.

Les questions à poser au décideur / commanditaire pour cadrer votre recherche :

  • A quel moment vous êtes-vous dit qu’il vous fallait lancer cette recherche ? Quel est le contexte dans lequel elle s’inscrit ?
  • Pourquoi souhaitez vous faire ces recherches ? Quel est l’objectif de cette recherche ?
  • Qu’allez vous faire de ces résultats ?
  • Combien de temps ? Quel budget ?
  • A qui rendrez-vous des comptes quant au résultat de cette recherche ? Quelles sont les attentes et les besoins de ces personnes ?
  • Y a t il d’autres personnes, ou départements, qui vont directement profiter de ces résultats et qui devraient être consultés lors de la conception du guide ? (soyez très attentifs, beaucoup de personnes veulent parfois profiter du fait que vous allez faire une recherche quali, utilisez cette réponse pour savoir qui tenir informé sans pour autant qu’ils influent sur le guide)
  • Qui a déjà des informations sur ce sujet ? Quels sont nos résultats de recherche primaires et secondaires déjà à disposition ?
  • Faites un RACI avec les réponses à ces dernières questions.
  • La recherche sera un succès si….

Rapprochez vous des personnes ayant ces résultats et consultez les recherches en question.

Formalisez ce cadrage sur un support communicable aux participants de l’atelier de préconception collaborative

Atelier 2 : préconception collaborative

Objectif : que votre décideur soit un client, un autre département, votre équipe UR, votre feature team, ou autre, vous allez ici identifier ensemble les objectifs de recherche ainsi qu’un ensemble de questions associées.

Durée : 1h30

Qui : UR lead, UR, le décideur de la recherche, les personnes à qui les résultats vont profiter, les personnes ayant déjà des connaissances issues de recherches primaires ou secondaires sur ce sujet.

Pré requis : le résultat du cadrage précédemment effectué avec le décideur est communiqué dans l’invitation et chaque invité doit l’avoir consulté.

Matériel : le cadre de l’étude, les personas concernés (ou autre outil de modélisation de votre cible),

Etape 1 : présentation du cadre

Durée : 10 minutes

Déroulé : le cadrage de la recherche et un résumé des études déjà réalisées, est présenté aux personnes présentes.

Etape 2 : que voulons nous savoir ?

Durée : 20 minutes

Objectif : cette première phase est une forme de “braindump”, elle permet d’identifier les questions les plus évidentes évidentes à poser et les thèmes les plus évidents à aborder.

Déroulé :

  1. Chaque participant liste individuellement entre 5 et 10 questions à poser aux interviewés dans le cadre de cette recherche. Ces questions peuvent être des thèmes larges (macro) comme des questions très précises (micro). (5 minutes)
  2. Chacun présente les questions qui sont , selon lui, à poser. Regroupez les questions par thématiques. (15 minutes)

Etape 3 : que savons nous déjà ?

Durée : 25 minutes

Objectif : une fois les questions les plus évidentes sorties de l’esprit de chacun et que les principales catégories sont connues, il est temps de se concentrer sur ce que nous savons déjà sur le sujet, afin d’identifier ce que nous ne savons pas.

Déroulé :

  1. demandez à chacun de répondre individuellement aux questions suivantes, sur un document libre (pas sur post it, car il ne faudra pas regrouper). Le timing est volontairement rapide, afin de rester synthétique et focalisé sur l’essentiel.
  • Qui ? 2 minutes
    Qui sont les cibles ?
    Qui est avec eux à ce moment-là ?
  • Pourquoi ? 2 minutes
    Pourquoi font-ils cette tâche ? (Émotionnellement et rationnellement)
  • Quoi ? 2 minutes
    Que font les cibles à ce moment-là ?
    Que font-elles avant ? Après ?
  • Quand ? 2 minutes
    Quand ont-elles cette activité ? A quelle fréquence ? Combien de temps ?
  • Où ? 2 minutes
    Quel est le contexte de l’activité? Le lieu ?
  • Comment ? 2 minutes
    Quelles étapes, quels outils, quel process sont utilisés / employés par les personnes à ce moment-là ?
  • Pain point ? 2 minutes
    Qu’est ce qui est gênant, stressant, pour eux à ce moment-là ?

2. Présentation (10 minutes)

Reprenez question par question, pour chacune d’entre elles chacun lit simplement les réponses qu’il a données aux questions précédentes. Aucun débat, aucune discussion annexe n’est autorisée ici. Les réponses de chacun restent affichées à disposition de tout le monde.

Etape 4 : que voulons savoir de plus ?

Durée : 20 minutes

Objectif : si à l’étape “que voulons nous savoir” nous avons identifié les thèmes et questions les plus évidentes, c’est maintenant que vont émerger des questions et thématiques différenciantes quant à votre projet. Cela ne veut pas dire que les premières questions sont à jeter, au contraire certaines d’entre elles sont aussi parmi les plus importantes. Nous les prioriserons plus tard.

Déroulé :

  1. Chaque personne liste entre 5 et 10 autres questions à poser aux interviewé. Il est possible de consulter les documents produits par chacun. (5 minutes)
  2. Chacun présente les questions supplémentaires qui sont , selon lui, à poser..Regroupez dans les catégories précédemment créés ou créez de nouvelles catégories si besoin.(15 minutes)

Etape 5 : closing

Remerciez tout le monde.

Indiquez bien que :

  • Les résultats seront ensuite priorisés entre le décideur et vous (et toute autre personne décisionnaire dans le cadre de cette étude) en fonction des objectifs de l’étude.
  • Les questions que vous avez listé ici ne sont pas les questions qui seront posées telles quelles, mais plutôt les thèmes autour desquels vous allez construire les questions à poser. Certaines questions seront probablement conservées.

Atelier 3 : redéfinition de l’objectif et priorisation des thèmes et des questions

Durée : 1 heure

Qui : le décideur, le lead UR, le user researcher, éventuellement les autres personnes à qui profiteront directement cette étude.

Objectif : vous avez à présent un ensemble de thèmes, chacun de ces thèmes est composé d’un ensemble de questions auxquelles vous souhaitez avoir des réponses. Vous allez à présent prioriser ces thèmes et les questions associées.

Etape 1 : Redéfinition de l’objectif.

Durée : 15 minutes

Objectif : le travail effectué en groupe a peut être élargi votre problématique, ou l’a modifié. Vous allez maintenant voir si votre cadrage est toujours d’actualité.

Déroulé : reprenez votre document de cadrage, notamment la partie “objectif de la recherche”. Demandez vous si l’objectif de la recherche est toujours le bon et modifiez le éventuellement en conséquence de votre relecture à la lumière des thèmes et questions qui ont émergé dans l’atelier précédent. Vous n’allez pas bien sûr le modifier radicalement, mais on voit généralement des ajustements ce que l’on pensait être l’objectif de la recherche.

Etape 2 : priorisation des thèmes.

Durée : 15 minutes

Objectif : prioriser les 2 à 4 thèmes afin d’identifier lesquels composeront effectivement le guide d’entretien.

Déroulé :

  1. votez silencieusement sur les thèmes les plus importants à aborder grâce à 3 gommettes bleues par personne. Possibilité de mettre 2 gommettes sur un même thème.
  2. Discutez sur les votes que vous avez fait.
  3. Identifiez les 2 à 4 thèmes prioritaires de votre recherche.

Etape 3 : priorisation des questions auxquelles vous voulez avoir des réponses.

Durée : 15 minutes
Objectif : identifier, pour les thèmes priorisés, les questions pour lesquelles vous voulez avoir des réponses,

Déroulé : pour chaque thème, lisez les questions qu’ils contiennent :

  1. entre 3 et 5 gommettes par personne, votez silencieusement sur les questions auxquelles vous voulez avoir des réponses.
  2. Supprimez les autres questions.
  3. Voyez s’il y a d’autres questions auxquelles vous voulez avoir des réponses, écrivez les.

Atelier 4 : création du guide

Qui : le user researcher et l’UR lead.

Vous avez à présent votre objectif de recherche, vos thèmes de questions qui vont vous permettre de répondre à votre objectif de recherche, une série de questions auxquelles vous voulez avoir des réponses . Ceci forme l’architecture de votre guide d’entretien. Il est temps de le rédiger.

Etape 1 : identifiez et rédigez les questions à poser à l’interviewé.

Vous avez un ensemble de questions auxquelles vous souhaitez avoir des réponses, vous devez maintenant rédiger les amorces, les relances, qui vous permettront d’avoir des réponses à ces questions. Ce sont les questions que vous allez poser, comme nous l’avons vu en introduction elles sont différentes des questions auxquelles vous voulez avoir des réponses. Pour cela vous pouvez préparer des questions basées sur le vécu et sur les émotions, afin d’amorcer sur un contexte réel.

Pour chaque question à laquelle vous souhaitez avoir des réponses, demandez vous quelles questions poser à l’interviewé pour avoir des réponses. Parfois la question telle quelle est suffisante, parfois en revanche vous savez qu’elle est trop frontale, trop guidante, ou que l’interviewé ne peut pas rationnaliser sa pensée pour vous donner une réponse.

C’est ici que se rédige les questions de ce type :

  1. Racontez-moi la dernière fois où …. / l’avant dernière fois. Quel était le contexte ?
  2. Racontez une fois où une telle chose a été désagréable / agréable pour vous.

Une fois la personne « amorcée », vous pouvez rentrer dans des descriptions plus factuelles :

  1. Les autres fois, comment se déroule cette tâche ?
  2. Généralement, que se passe-t-il avant / après ? Quelles sont les personnes présentes?

Vous pouvez aussi vous inspirer des “topic specific questions” de ce document.

Pour chaque question de votre thème vous vous retrouvez ainsi avec une ou plusieurs questions à poser à votre interviewé.

Indiquez pour chaque question à poser à l’interviewé, quelles sont la ou les questions auxquelles vous voulez avoir des réponses qui sont concernées. Cela vous permettra d’analyser et synthétiser plus facilement.

Exemple :

Vous interviewez des commerciaux et l’un des thèmes prioritaire de votre recherche est “la création d’une offre commerciale et le réseau de personnes impliquées”. Les questions auxquelles vous voulez avoir des réponses sont :

  • Comment font-ils pour créer une offre commerciale, étape par étape ?
  • Quelles sont les personnes qui l’assistent ? Quels sont leurs rôles ?
  • Qu’est ce qu’ils considèrent être une bonne offre / une mauvaise offre commerciale ?
  • Qu’est ce qui pourrait être automatisé ?
  • Quels sont leurs pain points ?
  • Quelles sont les parties qui leur plaisent le plus ?

Si vous les posez telles quelles à vos commerciaux vous risquez d’être déçu des réponses apportées. Voilà des amorces et relances à poser à vos commerciaux pour avoir les réponses à vos questions :

Question à poser #1 : parlez-moi de la dernière fois où vous avez créé une offre commerciale.

Questions auxquelles nous souhaitons avoir des réponses :

  • Quel est le process, étape par étape, de la conception d’une offre ?
  • Qu’est ce qui initie la création d’une offre, qu’est ce qui la conclue ?
  • Quelles sont les personnes impliquées ?

Question à poser #2 : quelles autres personnes ont été impliquées dans la création de cette offre ? Parlez moi des rôles qu’elles ont eu, à quelle moment avez vous interagit avec elles ?

Questions auxquelles nous souhaitons avoir des réponses :

  • Quelles sont les personnes impliquées ?

Question à poser #3 : en quoi est ce que cette expérience est représentative de toutes les fois où vous avez créé des offres ?

Question à poser #4 : parlez-moi de la fois où vous avez été vraiment satisfait de l’offre que vous avez créé. Qu’est ce qui la rendait unique par rapport aux autres ?

Question à poser #5 :Parlez-moi de la fois où vous n’avez pas été satisfait de l’offre que vous avez créé. Pourquoi n’était elle pas satisfaisante ?.

Questions auxquelles nous souhaitons avoir des réponses :

  • qu’est ce qu’ils considèrent être une bonne offre / une mauvaise offre ?
  • quels sont les points critiques pour concevoir une bonne offre ?

Question à poser #6 : parlez-moi d’un moment qui vous a irrité lors d’une dernière offre que vous avez créé. (Poser 2 fois la question)

Questions auxquelles nous souhaitons avoir des réponses :

  • Pain points
  • Automatisation

Question à poser #7 : en général, lors de la création d’une offre, quels sont les moments pour lesquels vous grincez des dents quand vous savez qu’il va falloir les faire ?

Questions auxquelles nous souhaitons avoir des réponses :

  • Pain points
  • Automatisation

Question à poser #8 : quelles sont vos astuces personnelles pour bien créer une offre commerciale ?

  • Quels seraient nos leviers de différenciation UX par rapport à la concurrence ?

Question à poser #9 : vous avez accès à un génie magique qui pourrait faire de façon excellente une partie de votre travail lors de la création d’une offre, cela vous permettrait de vous concentrer sur les parties qui vous plaisent le plus. Qu’est ce que vous lui donneriez à faire ?

Questions auxquelles nous souhaitons avoir des réponses :

  • Automatisation

Etape 2 : introduction et conclusion:

  1. préparez une présentation de l’interview (accueil, remerciement, rappel de l’objectif, validation de la durée de l’interview) et des questions d’introduction, elles ont pour objectif d’amener rapidement l’interviewé vers le sujet dont vous allez parler, en partant de la personne en général (“votre nom, âge, métier” (si vous faites un entretien lié au métier)) jusqu’à son approche générale du sujet (“en quoi consiste, en gros, votre métier ? Racontez moi une journée type”).
  2. préparez une conclusion : quelque chose de plus à ajouter ?, remerciements, donner la compensation, …

Faites relire et valider votre guide d’entretien par le décideur et éventuellement d’autres personnes à qui l’étude va directement profiter.

Votre guide d’entretien est prêt. Vous pouvez télécharger un exemple de guide réalisé avec cette méthode.

Bibliographie

https://www.nngroup.com/articles/interview-guide/

https://uxdesign.cc/how-to-write-a-generative-interview-guide-270faa46dbbc

https://projects.iq.harvard.edu/files/harvarduxgroup/files/ux-research-guide-sample-questions-for-user-interviews.pdf

https://blog.prototypr.io/how-to-create-a-storyline-in-your-user-interviews-bd751d1e54a0

Interviewing users, Steve Portigal